En 2020 est sorti un documentaire très intéressant sur Netflix, The Social Dilemma ("Le Dilemme Social", traduit par "Derrière nos écrans de fumée"). Ce documentaire analyse l'impact des réseaux sociaux sur ses usagers au quotidien.
Ce que nous apprend ce documentaire, c'est que tout, absolument tout ce que vous voyez sur Internet est construit pour conserver votre attention et vous faire rester sur le site zn UZQRION. On constate que les réseaux sociaux ont raffiné cet objectif à des niveaux extraordinairement élevés. Les protagonistes du film sont, pour les gens familiers du sujet, connus. On voit Tristan Harris, ancien responsable éthique de Google, qui se fait fort, depuis une dizaine d'années de dénoncer les outils mis en place par les GAFAM pour appâter l'attention.
On est surpris de voir les myriades d'algorithmes, de programmes, de calculs qui examinent en permanence les réactions des internautes sur leurs sites préférés. Le documentaire n'en parle pas, mais on mesure, quand on étudie le sujet, l'importance du RT de Twitter, du Like de Facebook, de la couleur rouge de la notification qui surexcite le spectateur, suscitant immédiatement sa réaction. On est loin de l'idéal de l'action, suite logique de la décision de l'acteur, on est dans la réaction, le conditionnement imposé que l'acteur, ou plutôt le spectateur, ne fait que subir.
On se rappelle, il y a 18 ans, d'un dirigeant de télévision de TF1 cynique qui l'avait avoué de manière crue : "Ce que nous vendons à Coca-Cola est du temps de cerveau humain disponible."
Ce qui n'est guère différent du constat contemporain de Harris : "Google et Facebook se font la guerre pour avoir votre attention". Les GAFAM sont seulement devenus meilleurs à ce jeu.
Santé mentale, fausses informations, polarisation sociale, troubles politiques, destabilisations géopolitiques, quelques conséquences dans le vaste champ des conséquences possibles des réseaux y passe. Aucune des différentes critiques portées aux réseaux sociaux n'est nouvelle. Mais ils centralisent un nombre de critiques portées auparavant envers plusieurs institutions, et leur redoutable efficacité rendent ces critiques beaucoup plus fondées.
En santé mentale, on sait grâce à Jonathan Haidt, psychologue social, qu'il y a un lien entre l'image de soi et Instagram. Jonathan Haidt s'est fait une réputation, comme psychologue social, en dénonçant les abus de l'usage répété des réseaux. A l'appui de sa démonstration, on peut noter qu'une étude islandaise de 2021 notait : «les symptômes dépressifs plus marqués étaient associés à une utilisation passive accrue des médias sociaux et à une diminution des contacts avec les membres de la famille par téléphone ou par les médias sociaux chez les filles, et à une diminution du sommeil et à une augmentation des jeux en ligne en solitaire chez les garçons. Les inquiétudes concernant le fait d’avoir contracté le Covid, les changements dans la routine quotidienne et scolaire, et le fait de ne pas voir ses amis en personne figuraient parmi les principaux facteurs contribuant à une mauvaise santé mentale identifiés par les jeunes, en particulier les filles».
Les réseaux sociaux, par leur fonction de carrefour redécouvrent plusieurs vérités vieilles comme le monde :
- mettre des pinups sur la couverture, ça fait vendre, pardon, cliquer ;
- les fausses informations, par leur caractère délirant, s'engouffre dans la crédulité des spectateurs qui n'ont pas d'outils pour s'en prémunir ;
- les lieux ou les espaces cybernétiques où se rassemble le plus de monde sont aussi les lieux des plus fortes polarisations et des conflits les plus violents ;
- les humains n'ont pas attendu les smartphones pour se droguer et se couper du monde, comme peut en témoigner le champ extrêmement large des addictions ;
- les pairs sur Facebook peuvent être tout aussi violents que les enfants dans une cour d'école (et une cour d'école ... peut être très violente) ;
- etc.
Par conséquent, la critique que l'on pourrait porter au documentaire est que cette chasse à l'attention, raffinée par les réseaux, a toujours plus ou moins existé. Seuls ses moyens ont changé. Et que quelque part, ces réseaux se donnent, potentiellement, trop d'importance. Les guerres ont existé avant Google, les polarisations politiques avant Facebook, les dépressions avant Instagram. Mais il est vrai que l'on peut soupçonner un impact croissant de ces réseaux sur les sociétés.
Au fond, l'humanité est en train de passer à la troisième étape du monde numérique : celle de la maturité. Il y a eu l'étape de la découverte, l'étape du développement, aujourd'hui, on arrive à l'étape de la maturité, on commence à comprendre l'impact de ces réseaux pour le pire ou pour le meilleur. Evidemment, le monde de l'utopie qui faisait rêver au début d'Internet est bel et bien mort. En fait, c'était David Bowie qui avait raison. Le temps de la naïveté enfantine par rapport à l'outil a vécu, nous atteignons désormais le stade de la maturité d'Internet, où le pire et le meilleur se cotoient librement, sans barrière, et nous apprenons à vivre avec.
«- Je pense que le potentiel de ce qu'internet va faire à la société –en bien et en mal– est inimaginable. Je pense que nous sommes en fait à l'aube de quelque chose d’exaltant et de terrifiant.
- C'est juste un outil, non?
- Non, c'est une forme de vie extraterrestre. Est-ce qu'il y a une Vie sur Mars? Oui! Et elle vient juste de se poser.»
Autrement dit, les dynamiques sociales provenant d'Internet auront leur propre autonomie et justification. Nous y sommes. Et devons apprendre à vivre avec, à les utiliser au service de l'humain.
Et pour cela, la première étape est de désactiver les notifications de son smartphone, qui vous empêchent de vous concentrer sur ce que vous faites.